Katie (Michael McDowell)
En se plongeant dans un roman de Michael McDowell, on est sûr(e) d’être… surclassé(e) ! On croit monter à bord d’un train corail, avec en poche un billet type “paper back” et l’on se retrouve installé(e) dans un véritable Orient Express littéraire…. version Agatha Christie.
Car chaque nouvelle étape du voyage mène tout droit à un cadavre et dessine la trajectoire sanglante de Katie, psychopathe juvénile au CV taché de sang. Cette serial killer en jupons tente de concilier ses penchants criminels avec un inquiétant talent pour la voyance.
KATIE PREDIT LA SUITE DE “KATIE” ! – “Je le vois dans tes joues et dans tes yeux, poursuivit Katie sans la regarder. Je vois une femme avec une aiguille en sang, une fille dans un escalier qui glisse dans le sang, une femme ouvrant une valise pleine de sang. Je les vois toutes emmêlées dans tes cheveux. Elle ne regardait toujours pas Philo. “Tu ouvres la bouche et je vois… je vois…” (p 88)
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Bébé psychopathe deviendra grand… ou pas !
Tant de qualités négatives auraient dû conduire Katie sur le chemin de la réussite sociale 🙂 ! Las : son éducation a été négligée… La jeune femme ne lit que dans les tarots ou la paume de la main. Son esprit en jachère tout entier habité par des pulsions primitives lui ferme d’emblée les portes du crime de haute volée.
Toutes les qualités positives sont l’apanage de son double romanesque, la sage et réfléchie Philo que Katie poursuit de sa haine irraisonnée après lui avoir dérobé son héritage (à défaut de pouvoir lui voler son intelligence et sa sagesse).
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Indissociables
Reste que le manichéisme apparent du roman relève du trompe l’œil littéraire. Les deux jeunes femmes s’opposent moins qu’elles ne se complètent. Katie -pour laquelle il est impossible d’éprouver la moindre empathie- est l’ombre dense et inquiétante de Philo et apporte toute sa profondeur et son relief à cette silhouette un peu trop sage.
JEU DE MIROIR A TRAVERS UNE PORTE
Puis la porte de la chambre claqua dans son dos et elle entendit la clé tourner. Le caquètement d’un grand rire retentit dans le couloir. […] Tremblante, Philo s’agenouilla face à la serrure. Une vive bouffée d’air soufflé par le trou la fit tomber à la renverse. Katie était juste là, derrière la porte, et sifflait ses paroles à travers l’ouverture. “Je te déteste ! Je détestais le vieux aussi. Le vieux est mort et je voudrais que tu sois morte aussi !” (p 98-99)
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Naissance d’une héroïne
3 ans plus tard Michael McDowell réunira ces deux personnalités antithétiques et créera, dans Blackwater, l’inoubliable, fascinante et complexe Elinor Caskey, mi-monstre, mi-femme évoluant dans les eaux troubles de la Perdido mais aussi de l’inconscient et qui choisit, un beau jour d’inondation, de gagner (dans tous les sens du terme) la terre ferme du conscient et de la civilisation.
AVANT ELINOR
[…] elle fixait Katie Slape comme s’il s’agissait d’une fabuleuse créature mythologique, sphinx ou Gorgone, tombée en plein dans le New York du XIXe siècle.
Sur la route menant à Blackwater, Katie -petit bijou de noirceur et d’humour- était une étape, un jalon horrifique. Dans l’Orient Express de Michael McDowell, il fallait que ses premiers personnages meurent pour qu’Elinor vive. Morale de l’histoire : l’auteur est toujours le meurtrier 😉 !
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Katie – Michael McDowell – Première édition américaine : 1980 – Mon édition : première édition française/Monsieur Toussaint Louverture/19 avril 2024 – Traduction de l’anglais (États-Unis) par Jean Szlamowicz – Illustrations de couverture : Pedro Oyarbide – 455 pages
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✴︎ MONEY & SOUL
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TOUCHE PAS AU GRISBI
Dans Katie, le vol fait figure de sport national. Les dollars passent de main en main et toute l’histoire tourne autour -en apparence- d’une folle course après un sac en tapisserie contenant 29 845 dollars que Philo et Katie se disputent.
Ultime paradoxe, dans ce roman où chacun s’empare sans vergogne du bien du voisin, Katie est la seule que l’argent laisse au fond relativement indifférente.
Psychopathe désintéressée, elle voit dans le vol une occasion de pratiquer son art sanglant.
DOCTEUR JEKILL AND MISTER HYDE
Entre Philo et Katie, le sac en tapisserie est un prétexte. Il contient moins des dollars que des liasses d’inimitié et de haine teintées d’une obscure fascination.
Reflets inversés, attirés par leur exact opposé, Katie et Philo se confondent, se nient et se poursuivent dans un étourdissant ballet géographique et ontologique. Au fond, elles s’affrontent moins pour un héritage que pour cette part manquante qu’elles devinent en l’autre et dont elles se sentent injustement dépossédées. Entre tentation du bien et du mal, leur(s) coeur(s) ou manque de coeur balancent.
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De livre en livre
Dans l’immense bibliothèque du monde, certains ouvrages poursuivent un dialogue secret. Pour pénétrer dans leur cercle magique et prendre part à leur discussion immémoriale, il suffit tout simplement de les (re)lire. Dans Katie, les deux héroïnes incarnent le bien et le mal et constituent les deux faces d’un Janus improbable. Cette figure du double traverse deux célèbres classiques :
Le Portrait de Dorian Grey – Oscar Wilde
Première édition : 1 891
Tibert Editions – Avril 2021 – Tirage limité à 2 000 exemplaires – Traducteur : Anatole Tomczak (Grasset & Fasquelle) – Edition non censurée et fidèle au texte original – Illustrations : Livia Caruso
L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde
Première édition : 1 886