Le Quinconce (Charles Palliser)
A PROPOS DE L’HISTOIRE – Chez Charles Palliser, l’enfer c’est… la famille ! Orphelin de père, John, le héros du roman, est fasciné par le mystère de ses origines qu’il tente de déchiffrer dans les cartouches à demi effacés des livres du cottage. Qui est son père ? Que lui cache soigneusement sa mère ? Cette quête identitaire va l’entraîner dans un labyrinthe patronymique angoissant aux allures de coupe-gorge victorien. Car –John va l’apprendre à ses dépens- l’art de la généalogie est meurtrier et toute visite ou tout rapprochement avec des cousins éloignés met votre vie et votre intégrité psychologique en danger… De codicille en testaments volés ou disparus, les héritiers potentiels du vaste domaine de Hougham vont se déchirer dans un Londres inquiétant, dévorant et carnassier.
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LIRA OU LIRA PAS ?
Ce livre est pour vous si :
- Vous êtes prêt(e) à faire des heures supp ! Le Quinconce est un vaste chantier littéraire. Malgré ses 1 500 pages, l’œuvre est loin d’être achevée. Les planchers sont béants, l’isolation inexistante et certains chapitres squattés par des narrateurs tout sauf fiables. Bref, il faut lire mais aussi réfléchir pour venir à bout d’un monument littéraire que l’auteur lui-même n’est pas sûr d’avoir complètement compris…
- Un roman qui se ressemble vaguement ne vous effraie pas 😊. Car il existe autant de « Quinconce » que de lecteurs. Certains abandonnent dès le premier tome, vaincus par un ennui irrépressible. D’autres le dévorent en 48 h. Et une fois franchie la ligne d’arrivée, aucun lecteur ne semble avoir lu la même histoire…
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“Je contractai l’habitude -devrais-je dire : j’acquis la faculté ?- de me perdre (ou de me trouver, qui sait ?) dans un livre en me détachant totalement du monde.”
Tome 1 – L’Héritage de John Huffam
- « On se fait un Spritz prosecco/Apérol/eau gazeuse/Quinconce ? » « OK, 19 h, chez moi ! » « Qui apporte les Taralli ? » « Partant, à fond. Vous avez vu qu’Eliza est la vieille du tome 3 ? » « Moi je veux bien mais pas de Quinconce dans mon Spritz. Franchement les mecs vous avez des goûts littéraires très discutables… » « Eh ! Il y a des meufs aussi ! » « Parlons des meufs selon Palliser ! Marie n’a rien dans le ciboulot. La parfaite cruche victorienne et Henrietta est masochiste. » « Il a pas tort… Mais Miss Lydia est top. Vous croyez qu’elle a eu un enfant illégitime ? La robe de baptême m’intrigue. » « C’est parti pour la confection de Taralli au piment. Je suis en RTT cet après-m’. J’ai le temps ! » « Pitié ! Ne lis pas en cuisinant 😊. Tu te gourres dans les proportions ! » (conversation WhatsApp).
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Lire ou (dé)chiffrer : telle est la question
Depuis le Quinconce, le 5 a détrôné le 7 et est devenu le nouveau chiffre du diable ! Rien de plus carré en apparence que ce roman fleuve proposant 5 tomes, comprenant chacun 5 chapitres divisés en 5 sous-parties. Un équilibre parfait d’autant plus que les 5 branches d’une même famille s’affrontent pour s’approprier le domaine de Hougham. Sur leurs armoiries figure un quinconce de roses sans cesse réinterprété et qui se transformera, dans le 4ème tome, en un véritable casse-tête. Le (dé)chiffrer permet d’ouvrir un coffre-fort inaccessible mais aussi et surtout de pénétrer les arcanes d’un roman essentiellement endogame et dont la principale clé de lecture est la généalogie.
“Avant tout le blason doit être… comment dire ? un reflet dans un miroir.”
Tome 4 – La clef introuvable
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Reste que les dés sont pipés ! Dans ce roman où tout le monde triche, l’auteur n’est pas le dernier à tromper le lecteur et à le spolier. Dans le 3ème tome, John Huffam parcourt le journal de sa mère. Cette confession posthume placée au centre même du Quinconce comprend des pages fantômes, des feuillets brûlés, des secrets honteux (p 123). Tout le roman se déploie donc autour d’un manque de cœur -celui du Quinconce (?), celui de ses… personnages (?)– et s’ouvre sur un vide abyssal rendant toute interprétation hasardeuse. Les preuves sont à jamais perdues… Le puzzle est incomplet…
LE SAVEZ-VOUS ? – A l’origine, le quinconce était une monnaie de cuivre pesant 5 onces sur laquelle étaient représentés 5 points. Les quatre premiers étaient disposés en carré et le 5ème figurait au centre. D’où l’expression « en quinconce ». Le choix du titre est d’autant plus signifiant que la plupart des personnages du Quinconce sont mus par des intérêts purement financiers ! L’étymologie ne saurait mentir !
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Dickens, sors de ce roman !
Il est dangereux d’avoir Charles John Huffam Dickens comme parrain, de porter son nom et d’être né la même année que ce maître Es roman victorien ! Le héros du Quinconce se serait sans doute bien passé de cette tutelle encombrante qui l’a condamné à un destin à la David Copperfield… en bien plus sombre ! Sorte de nouveaux « Malheurs de la vertu », le Quinconce s’inscrit dans la droite ligne des romans victoriens qui jettent l’innocence en pâture aux vices et à la cruauté de l’Angleterre du début du XIXème siècle. Parce qu’il est l’héritier direct du domaine ancestral de Hougham, John est d’autant plus menacé qu’il est (en toute innocence) menaçant.
La parfaite reconstitution des bas-fonds londoniens est aussi incroyablement réaliste que la propension du héros à cumuler les infortunes (sans jamais s’avouer vaincu)… cousue de fil blanc. Il y a du Sade chez Palliser qui remplace les sévices sexuels par toutes les épreuves du paupérisme et les envolées politiques du divin marquis par de longues considérations sur la justice. Pastiche de roman victorien, le Quinconce tient du conte noir et fouille sans pitié les dessous inavouables d’un siècle corseté.
ZOOM SUR… – Dans le tome 3, le champ sémantique de l’araignée est omniprésent. Il désigne les ennemis du héros mais pourrait aussi être appliqué au travail de Palliser qui a conçu le Quinconce comme une vaste toile l’araignée emprisonnant le lecteur ! “L’explication de ces événements “fortuits” se trouvait sans doute dans une mystérieuse toile d’araignée dont je ne pouvais encore démêler l’inextricable lacis, mais qui prouvait l’existence d’un complot ourdi contre moi.”
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Vite, la suite !
Si le Quinconce peut agacer, il tient pourtant du véritable page turner. On lit vite, trop vite… En passant la 5ème et en fonçant de péripéties en péripéties, on risque de passer à côté de nombreux indices mais aussi d’incohérences révélatrices. Chez Palliser, lire vite nuit à la bonne compréhension de l’intrigue ! D’autant plus que les 1 500 pages du roman mènent à une dernière phrase piégée, une sorte de mine « anti-littéraire » que l’on active à la lecture… Une fois ses mots parcourus, il est trop tard, une véritable déflagration sémiotique se produit, l’intrigue vole en éclats et le doute vient détruire le bel agencement des certitudes. Surpris, de nombreux lecteurs ont relu derechef l’intégralité du Quinconce. On ne se méfie jamais assez des boucles temporelles et littéraires !
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Le Quinconce (5 tomes) – Charles Palliser – Première édition : Canongate (1989) – Premières éditions françaises : éditions Phébus (1993) ; éditions Libretto (2015) – Mon édition : éditons Libretto (2023)
NOIR, C’EST NOIR
(SPOIL)
Fascination
Dans l’obscurité des pages
ATTENTION SPOIL ! – Certains romans s’apparentent à des trous noirs et trouvent leur dynamique propre dans un mouvement perpétuel d’auto-dévoration. Les pages se replient sur elles-mêmes et se nourrissent de leurs sombres secrets. Roman du vertige, le Quinconce est un roman sans solution dont la forme comme le fond tirent leur puissance d’un enchevêtrement volontaire et d’une obscurité soigneusement orchestrée. Inaccessible et opaque, le coeur du roman bat partout et nulle part au rythme de deux questions insolubles :
– qui a assassiné le grand-père du héros ?
– qui est le père de John Huffam ?
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Tellement heureuse de te retrouver avec cette superbe analyse du Quinconce et les très belles photos qui l’illustrent. Je t’avoue que je fais partie des lecteurs que le « misérabilisme » du héros a fini par lasser mais ta chronique a réussi le tour de force de me décider à reprendre ma lecture interrompue… avec un autre œil. Et merci+++ pour tes anecdotes, toujours très intéressantes.