Qui a tué Spinoza ? (JF Bensahel)

Rien de tel qu’une excommunication ou un herem sur un CV de philosophe pour signaler une pensée originale et en avance sur son temps ! Le 27 juillet 1656, Baruch Spinoza écope de l’un des herems les plus sévères jamais prononcé par la communauté juive d’Amsterdam. A 24 ans, le jeune Baruch, qui n’a pourtant encore rien publié, fait figure d’ennemi public N° 1 et se retrouve seul, sans attache mais aussi… parfaitement libre de partir à la recherche de « sa » vérité.

Il ne lui reste que 21 ans à vivre. Un laps de temps très court que Spinoza va mettre à profit pour développer une philosophie originale. Trop sans doute, puisqu’elle va mettre le feu aux poudres d’une Europe de la pensée particulièrement portée sur la controverse intellectuelle et théologique. Les rois se chamaillent… les philosophes et les scientifiques aussi !

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Spinoza « pour les nuls »

Si la 4ème de couv de Qui a tué Spinoza s’emballe quelque peu lorsqu’elle évoque un « thriller philosophique », ce roman est un fascinant exercice de reconstitution des grands courants de pensée au XVIIème siècle. On en ressort plus cultivé(e) et avec l’envie de (re)lire Spinoza.

La structure même du roman aurait sans doute plu au sage de La Haye qui avait choisi de mener une vie modeste et obscure ! Jean-François Bensahel lui ménage une retraite de « papier ». Loin d’apparaître sur le devant de la scène ou plutôt des chapitres, Spinoza est décrit en creux. Le lecteur le découvre à travers les yeux de ses amis et surtout de ses ennemis…

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Le diable n’est pas toujours qui l’on croit !

Un procédé qui permet de peindre à petites touches le portrait d’un homme calme, réservé, modeste et à l’écoute des autres. Dans ce XVIIème siècle intransigeant, Spinoza représente la tolérance et la liberté de pensée. Une ouverture d’esprit qui confond un Leibniz, incapable de comprendre que ce « diable »/diobolon (= le diviseur, en grec) puisse avoir tout à la fois pour ami un athée convaincu et un chrétien fervent. Les pages consacrées à Leibniz sont savoureuses et auraient fait sourire Voltaire !

Il émanait de son être une grande douceur qui rappelait à Leibniz la placidité des moines. Un moine athée s’était-il dit ? Comment le croire ?

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Les lunettes du spinozisme

Dans ce roman, aux allures d’essai, Spinoza est tout à la fois partout et nulle part, il est le soleil autour duquel tournent les planètes du judaïsme, du calvinisme, du catholicisme, du cartésianisme, de l’optimisme et du pouvoir politique. Irrésistiblement attirées par une lumière qu’elles recherchent mais qui les aveugle, ces chapelles intransigeantes voudraient renvoyer à l’obscurité une œuvre dont la modernité les dépasse et les menace… Avec l’Ethique et le Traité théologico-politique, une nouvelle ère se lève. La superstition et le despotisme reculent…

Mais l’histoire est un éternel recommencement… Alors que les fondamentalismes, les volontés expansionnistes et les tentations de replis identitaires menacent plus que jamais notre XXIème siècle fragile, l’œuvre de Spinoza est plus que jamais d’actualité.

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A travers la lentille éclairante de ses œuvres, Spinoza nous incite à « réfléchir », à tourner le dos aux superstitions religieuses et aux passions aliénantes pour utiliser notre raison, mieux penser le politique et s’engager sur la voie difficile du bonheur. Parce que Spinoza était non seulement en avance sur son époque mais aussi sur la nôtre… !

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SERVICE PRESSE

Spinoza n’était pour moi qu’un lointain souvenir de terminale et de cours de philosophie… Quelle erreur ! Merci à Alba Platform Agency et aux Editions Grasset de m’avoir permis de renouer avec une philosophie inspirante, ouverte et rationaliste ainsi qu’avec un XVIIème siècle « plein de bruit, [de pensées, de sciences] et de fureur » !

Qui a tué Spinoza ? – Jean-François Bensahel – Première édition : Grasset (10 mai 2023) – 224 pages

EN IMAGES ET EN CITATIONS

RELIGIONS

Dis-toi bien que ces religions sont folles. Elles prêchent l’amour et sont prêtes à excécuter quiconque leur Désobéit.

LIBERTé

ma liberté n’est pas négociable, monsieur Leibniz.

LIBERTé De Pensée

Il aimait ces disputes intellectuelles, la liberté de pensée était pour lui absolue, et le pouvoir ne devait pas s’immiscer dans les querelles d’idées.

raison & bonheur

DèS SA JEUNESSE, Spinoza avait eu l’intuition que seule une vie placée sous le magistère de la raison conférait de la joie, mais une joie souveraine, continue, paisible et partageable. une vie sans excès où l’on ne serait jamais déçu. il s’était mis en route sur ce chemin escarpé que chacun pourrait emprunter pour être heureux.

éthique

Spinoza écrivait un nouvel ouvrage, qu’on disait s’appeler l’éthique, où il démontrait que le Dieu des Juifs et des chrétiens n’existait pas, que le vrai Dieu n’était autre que la nature et son dynamisme vital.

TOUT EST CAUSE ET CAUSé

mais de même qu’il était nécessaire que spinoza meure et qu’il meure ainsi, de même était-il nécessaire que l’éthique vive et qu’elle vive ainsi. Car rien de ce qui arrive sous le soleil aurait pu ne pas se produire ou se produire différemment. Voilà la leçon du maître. Et, puisque tout est cause et causé, l’étHique nous tend désormais la main.

2 commentaires

  1. Alors là, bravo Nanili. La philosophie n’a jamais été ma passion mais ta chronique, très intéressante, et tes photos, toujours très belles, tes citations, peut-être particulièrement bien choisies 😉, me donnent envie de… découvrir Spinoza ! Et je crois que je vais sauter le pas et me procurer Qui a tué Spinoza.
    Merci pour ton site, je m’y promène avec bonheur.

    • Merci Marylène 😊 ! Ce roman-essai se lit très facilement. En un peu plus de 200 pages, Jean-François Bensahel restitue avec bonheur l’atmosphère dangereuse et belliqueuse d’une Europe de la pensée ou toute idée un tant soit peu différente mettait son auteur en danger. On admire d’autant plus tous ces chercheurs de vérité (philosophes, scientifiques)! Il est d’ailleurs significatif que de nombreux savants se soient intéressés à l’optique au XVIIème siècle. Voir et donner à voir, telle était la dangereuse mission que ces « dompteurs de lumière » s’étaient donnée. L’ouvrage de J.F. Bensahel permet tout à la fois de mieux mesurer le courage de Spinoza et de mieux appréhender l’originalité de sa pensée ! C’est intelligent et très accessible !

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