Sauvage (J. Bradbury)

LA LECTURE (OU PLUTOT LA CHASSE) EST OUVERTE – Sauvage est un ouvrage qui ne se laisse pas lire. Rien de civilisé dans ses pages. Chaque chapitre attire un peu plus loin le lecteur dans une forêt dense de doutes, de questions et d’angoisses. Jusqu’à ce que vous compreniez que vous avez été piégé(e). Vous avez été trop loin pour abandonner. Les pages blanches se referment sur vous. Les phrases vous agressent, vous prennent au dépourvu, se font tranchantes, dangereuses.

Alors que la nausée vous envahit, vous continuez. Vous n’adhérez pas au roman mais il ne vous lâche plus. Ce n’est plus vous qui lisez, c’est le livre qui vous traque, vous oblige à poursuivre votre lecture. Parce que pour lui échapper, vous n’avez plus qu’une seule issue : le comprendre. Et de lecteur-chassé redevenir enfin lecteur-chasseur.

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A PROPOS DE L’HISTOIRE – 21 coups de canon annoncent la naissance d’un prince. 22 chiens de traineaux ont chanté à la lune lors de l’arrivée de Tracy, née sur le seuil même du chenil familial, en Alaska. Une scène inaugurale frappante qui annonce tout le roman et le destin d’une héroïne déchirée entre civilisation et sauvagerie. Car pour Tracy hors de la forêt, il n’est point de salut. Elle court, chasse, tue avant de rentrer à la maison où l’attend une famille aimante qui a fait du mushing un véritable mode de vie. La disparition de sa mère puis l’agression d’un inconnu en pleine forêt vont faire éclater ce précaire équilibre. Alors qu’un jeune homme mystérieux, vient travailler pour son père, Tracy sombre dans l’angoisse, le doute et la peur… Une menace plane sur sa famille…

Lira ou lira pas ?

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtres prêt(e) à sortir de votre zone de confort. Dans le règne littéraire, tout comme dans le règne animal, les grands prédateurs se font rares. Le premier roman de Jamey Bradbury a été rédigé sous le signe du loup ; sa lecture se fait morsure. En l’achetant vous avez introduit chez vous un livre indéniablement… Sauvage.
  • Une nuit blanche ne vous fait pas peur. Cet ouvrage est un page turner. Une fois que vous l’aurez commencé, vous ne le lâcherez plus. Tout lecteur (trop) en retard de sommeil s’abstenir !
  • « […] sans se laisser charmer, votre œil sait plonger dans les gouffres » (Baudelaire).  Sauvage est un livre fascinant auquel on adhère difficilement mais dont la sauvagerie même est magnifique. Vous en ressortirez choqué(e), éreinté(e), l’âme griffée, le cœur en pièces mais avec le sentiment exaltant d’avoir (enfin) lu un roman foncièrement différent.

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D’amour et de sang

Véritable gifle littéraire, Sauvage tient sa force de l’incroyable unité qui existe entre son fond et sa forme. Livre prédateur, qui poursuit (dans tous les sens du terme) longtemps le lecteur, il est construit autour d’une thématique centrale : la prédation. Eclaboussées de sang, les 336 pages du roman sont autant de variations sur la chasse, la traque, la fuite ou la mise à mort.

L’appel de la forêt

Si l’on ressent tout l’amour de Jamey Bradbury pour l’Alaska et ses paysages aussi grandioses qu’inhospitaliers, on est loin de tout cliché naïf. Ici, survivre, c’est chasser. Une loi naturelle et immémoriale qui relève de l’instinct chez Tracy qui tue depuis l’âge de 6 ans. La petite fille accumule les trophées (tamia, lièvre à raquette, lynx…) en même temps que les nouvelles connaissances. Mais à trop boire à la coupe, Trace, devenue adolescente, va basculer…

J’ai appris à lire la forêt avant d’apprendre à lire les livres.

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Traquer l’altérité

Car si la forêt est dangereuse, la jungle de la psyché humaine l’est encore plus. Véritable terra incognita, l’autre représente par excellence le danger. Fragilisée par la perte de sa mère, Tracy, en plein crise d’adolescence, vit l’intrusion sur son territoire de Tom Hatch puis d’un mystérieux jeune homme -Jesse- comme de véritables épisodes traumatiques. Poussée par la peur, l’angoisse mais aussi l’inconscient besoin de se rapprocher de quelqu’un, Tracy se met à « chasser » les secrets de ceux qui l’entourent.

Images et pensées volées vont l’entraîner sur une piste trompeuse où le chassé et le chasseur ne sont pas toujours qui l’on croit… L’Iditarod de Tracy sera moins géographique qu’existentielle et psychologique. Parce que la plus grande des aventures est peut-être de se connaître soi-même…

ANECDOTE

En 1 925, le blizzard et la diphtérie coupent Nome du reste du monde. Bateaux et avions restent désespérément au port et au sol. Pour éviter que l’épidémie ne décime toute la population, des mushers s’élancent dans les étendues enneigées de l’Alaska. Aujourd’hui, le souvenir de Gunnar Kaasen et de son leader, le chien Balto, arrivant en ville, en traîneau, avec le sérum salvateur, reste vivace. L’Iditarod (appelée également la « Route du sérum » ou la « Course de la miséricorde ») commémore cet exploit hors normes.

Véritable Everest des neiges, créé en 1973, l’Iditarod est un défi sportif. Le musher et ses 16 chiens doivent franchir, seuls, les 1 800 km qui séparent Anchorage de Nome. Pendant 8 à 10 jours, les concurrents et leurs attelages affrontent des températures pouvant atteindre les – 55°C ainsi que des vents à plus de 100 km/h. En arrivant en Alaska, où elle s’est installée en 2005, Jamey Bradbury a été fascinée par cette course de tous les dangers. A défaut de pouvoir y participer en tant que musher, Jamey s’est lancée à l’assaut des neiges de la page blanche… Une aventure littéraire qui l’a amenée à rédiger son premier roman –Sauvage– qui rend hommage au monde des mushers et à la plus grande course de chiens de traîneaux !

C’EST POUR BIENTOT !

Dans son deuxième roman, Jamey Bradbury restera fidèle à l’Alaska. Mais les étendues sauvages seront remplacées par la ville et la côte sud. Le pitch, digne d’un roman de Shirley Jackson, pique la curiosité ! L’héroïne construit une immense maison qui abrite essentiellement des portes… Elles apparaissent sur le murs mais aussi sur les sols et les plafonds ! Chacune de ces ouvertures donne accès à une étape de la vie de la maîtresse des lieux. Réflexion sur le temps, la folie, la mémoire et l’inexactitude des souvenirs, ce roman est plus que prometteur. On a hâte !

Sauvage – Jamey Bradbury – Dates d’édition : Etats-Unis, William Morrow (20 mars 2018) – France, Gallmeister/Fiction (7 mars 2019) Mon édition : Gallmeister/Totem (18 juin 2020) – 336 pages

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