Le bâtard de Nazareth (Metin Arditi)

Avec Le bâtard de Nazareth, Metin Arditi dénonce tous les 49.3 religieux et propose une relecture audacieuse de la vie de Jésus. Sous ses airs sages, ce roman transforme le fils de Marie et Joseph en un prophète inspiré aux allures de rock star et dont le charisme attire de vastes foules moins avides de tubes que de justice. On lit, on est surpris, on résiste un peu avant… d’être conquis.

Et si c’est un homme…

Réduit à sa simple humanité, Jésus touche l’homme (et la femme🙂) en chacun de nous. Une blessure d’enfance, un mot injurieux « mamzer » (bâtard) violemment jeté à la face d’un petit garçon doux, aimant et très aimé, va déterminer le parcours religieux, philosophique et politique du héros de Metin Arditi.

La Loi juive est inflexible : parce que Marie a été violée par un légionnaire romain, elle et son fils sont devenus impurs et rejoignent la vaste cohorte des laissés-pour-compte : sourds, aveugles, lépreux, prostituées… Il ne fait pas bon être différent en Judée, au tout début de notre ère ! Tout comme il ne fait pas bon, aujourd’hui, d’être femme, gay, Arabe, Black, Juif… dans trop d’endroits de notre planète…

De cette lapidation symbolique, de ce « mamzer » qui le poursuit de page en page et de chapitre en chapitre, Jésus va faire une force de compréhension et d’amour. En soignant le corps et l’âme des déshérités, il apaise ses propres souffrances et devient un passeur d’espoir.

Votre Loi n’est pas ma loi

Sorte de Robin des Bois Isréalite, Jésus part en croisade. Destination : Jérusalem où le Sanhédrin veille jalousement sur la Loi. Mais Jésus est un archer qui ne veut pas décocher de flèches, un combattant au carquois rempli d’amour et de pardon. Toutes armes qui sont sans effet face à la cruauté, la vanité et la volonté de pouvoir de ses adversaires.

La Loi juive a été dérobée au peuple ; le Lévitique et son « Il sera pour vous comme l’un des vôtres, l’étranger qui habite avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même… » balayés par l’interprétation sectaire des rabbins tout comme Jésus sera exclu du jeu et crucifié. La partie serait terminée si…

“Rien d’extérieur à l’homme ne peut le rendre impur.
Seuls ses mots et ses pensées, ce qui vient de l’intérieur de lui-même pourront l’avilir.
Pas ce qu’il mange ou ce qu’il boit. Pas même s’il fait ou non ses ablutions.
Ce sont ses mots et ses pensées, je te le dis. ”
Metin ARDITI
Le bâtard de Nazareth
Histoire de doppelgänger

… Jésus ne possédait un double. Cet être trop solaire et franc pour gagner un combat est suivi par une ombre fidèle, un spin doctor de génie, capable de transformer une défaite en victoire. A Jésus l’amour, le respect de la parole donnée à Joseph, la franchise et la lumière, à Judas l’action politique, la ruse, le mensonge et l’obscurité. Communicant de génie, Judas orchestre des miracles, organise des prêches spectaculaires, active ses réseaux « humains », à défaut d’être sociaux, et met en scène une résurrection spectaculaire. L’un a sacrifié sa vie, l’autre son âme pour qu’une nouvelle religion fondée sur l’amour, le pardon et la justice voie le jour. Si le Jésus de Metin Arditi n’était pas aussi humain, il ne serait pas aussi divin…

Anecdote

Il n’aura fallu que 31 jours à Metin Arditi pour rédiger Le bâtard de Nazareth ! Judas, en bon spin docteur, aurait préféré 33 : l’âge du Christ 🙂 ! Un excès de vitesse littéraire dû à l’inspiration. En découvrant les travaux du théologue Daniel Marguerat qui, (fort de sa devise « […]pour être correctement compris, un texte doit être situé dans l’histoire qui l’a produit »), estime que Jésus devait être un « mamzer », Metin Arditi a abandonné la rédaction de son roman en cours pour se consacrer à ce cinquième évangile que Borges rêvait d’écrire. Coïncidence d’autant plus troublante que le maître argentin met en scène dans sa nouvelle les « Trois versions de Judas » (issue du recueil « Fictions) un héros persuadé que Judas est Jésus-Christ : « L’ordre inférieur est un miroir de l’ordre supérieur ; les formes de la terre correspondent aux formes du ciel […] ; Judas reflète Jésus en quelque sorte. » Décidément, la littérature aime les textes apocryphes !

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SERVICE PRESSE

Tous mes remerciements à Plate-forme Agency et aux Editions Grasset d’avoir placé Le bâtard de Nazareth sur mon chemin. Le Jésus de Metin Arditi gagne en modernité. Les 198 pages de ce roman effacent les 20 siècles qui nous séparent de cette figure marquante et lui rendent tout son poids d’humanité.

Le bâtard de Nazareth – Metin Arditi – Première édition : Grasset (22 mars 2023) – 198 pages

AbRAHAM – L’âNE

« le rapport qui les liait DEPUIS TANT D’anneeS était si beau, si humain. Simple et sincère. D’Une confiance absolue. Celui que chaque juif devrait avoir à l’egard de sa Loi, sans menace, ni crainte. »

Jésus & Judas

« je crois bien que chez moi, l’attachement l’emporte sur la rage, et chez toi, c’est le contraire. Je veux réformer, et tu veux révolutionner. »

PEUPLE elu

« en excluant les impurs, tu invites les nations à nous exclure à notre tour, si un jour l’occasion devait se présenter à elles. là serait la fin de notre peuple. »

EN Vérité

« n’as tu pas compris que l’Esprit
doit être supérieur à la matière ? »

TON LOINTAIN

 » – Mon ambition est d’aimer mon peuple […] ! en verrais-tu une autre ?
– Celle d’aimer ton lointain, par exemple. celui qui ne te ressemBle pas […] »

Jésus

« tu n’Es pas un vrai juif. je suis plus juif que toi, grand-prêtre caïphe. »

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PORTRAITS CROISES

D’Avner à Jésus, il n’y avait que quelques pages ! Publié en 2021, L’homme qui peignait les âmes dessine le chemin christique d’un héros attachant que son désir de « peindre » (au lieu « d’écrire ») des icônes, va transformer en « pêcheur d’hommes ». Il faut lire Le bâtard de Nazareth et L’homme qui peignait les âmes en parallèle comme on admire un diptyque.

L’homme qui peignait les âmes – Metin Arditi – Première édition : Grasset (2 juin 2021) – Mon édition : Points (3 juin 2022) – 312 pages

8 commentaires

  1. Superbe chronique. Superbes photos. Merci Nanili pour cet excellent moment. Ce Jésus m’intrigue et me fascine. J’ai hâte de me plonger dans cette thèse du  « double » que tu évoques. Dès demain je me procure le livre d’Arditi et sûrement, par la même occasion, L‘homme qui peignait les âmes.
    Bien que et peut-être parce que très éclectiques, tes choix de lecture ne m’ont jamais déçue et j’apprécie+++ tes analyses.

    • 1001 mercis Marylène 😊. Le bâtard de Nazareth se lit rapidement mais on y pense ensuite très longtemps… La thématique du double parcourt toute la deuxième partie du roman. Les personnalités de Jésus et Judas sont complémentaires, diamétralement opposées et pourtant indissolublement liées. Dans le roman, si Judas n’existait pas, le sacrifice de Jésus serait vain. Abraham, l’âne fidèle, ne s’y est pas trompé ; la toute dernière scène du roman est, à cet égard, particulièrement troublante…

      Et comme un double peut en dissimuler un autre, Metin Arditi introduit un second jeu de miroir. Le petit Elie, que Jésus prend sous son aile, est, comme lui, un « mamzer », un enfant innocent qui soufre du traitement qu’on lui inflige ainsi que des humiliations subies par sa maman. Elie, double enfantin de Jésus, image de l’innocence bafouée, joue un rôle essentiel dans la dynamique du roman puisqu’il est à l’origine du passage à l’action de Jésus et de sa décision de se rendre à Jérusalem.

  2. Je me suis régalée à lire ta chronique complète ici.
    Je suis admirative des gens qui comme toi continuent à alimenter leur blog alors que la fréquentation des blogs a terriblement diminué, les gens voulant toujours plus de prêt à consommer en un minimum de temps…
    Pour avoir longtemps tenu un blog, je sais le temps nécessaire et je me demande si le jeu en vaut toujours la chandelle ? Il y a si peu de commentaires, donc d’échanges…
    A bientôt Nanili !

    • Merci Catherine pour ton message ! Il est vrai qu’un blog demande un important investissement et que les retours sont bien plus rares que sur les réseaux sociaux. Mais, dans mon esprit, il existe un véritable clivage entre ma page Instagram et mon blog. Pour moi, la première s’apparente à un hôtel où je fais des rencontres stimulantes, noue des amitiés littéraires alors que mon blog est mon « sweet home », un lieu rien qu’à moi où je peux publier des chroniques plus longues, ajouter des photos, jouer sur le design. Les deux sont complémentaires et m’apportent des plaisirs différents. Cela dit, j’ai commencé depuis à peine un an et demi à publier. Peut-être que mon regard changera au fil du temps… Pendant combien d’années as-tu publié sur blog ? Est-il encore actif ? Si la réponse est positive, j’aimerais aller m’y promener et découvrir tes chroniques 🙂!

      • J’ai tenu le blog Rose & Gris de 2009 à 2016. Il n’est pas fermé et tu peux t’y promener à loisir. Tu y trouveras surtout de la déco, de la chine, de la couture et quelques retours sur mes lectures, très courts. J’ai commencé un jour à parler de mes lectures de temps en temps, et vu le succès que ces courts billets avaient , j’ai continué. Des abonnées m’ont dit avoir retrouvé le goût de la lecture, c’est sans doute la chose la plus gratifiante qui m’ait été écrite. Il y avait beaucoup d’interactions avec mes abonnées et un jour j’ai réalisé que cela me prenait trop de temps, je venais de passer trois heures à répondre aux commentaires …
        Mais je suis d’accord, la mise en page, les photos, tout cela était un réel bonheur. J’ai mis tout mon blog en albums photos (hormis les commentaires ) et je fais pareil pour mon compte Instagram.
        Bonne soirée Nanili!

        • Coucou Catherine, ce week-end j’ai commencé à explorer ton blog. Rose & Gris est un havre de paix et de beauté, un paradis de la décoration dans lequel on se sent parfaitement bien. Je comprends le succès que tu as rencontré auprès de tes abonnées 🙂 et suis admirative de toutes tes créations ! J’ai l’impression d’avoir découvert un château enchanté où je me promets de régulièrement retourner pour des pauses douceurs mais aussi pour glaner des idées déco et lecture ! Réaliser des albums photos à partir de ton blog et de ta page Instagram est une merveilleuse idée ! Je suis fascinée par tous les trésors que tu as chinés. Les vieux objets me font toujours l’effet d’être de vieux amis. Ils ajoutent une touche chaleureuse et plus personnelle au décor. Comme les livres, ils semblent nous murmurer à l’oreille des histoires !

          • Oh tu me fais très plaisir Nanili ! Je suis ravie que mon blog te plaise. J’ai tellement aimé le tenir…
            Les photos étaient faites au reflex et non avec le smartphone!
            Ma maison est remplie d’objets chinés, elle s’y prête bien, c’est une respectable vieille dame béarnaise de 1850 !
            Tu aimes la déco cela se voit sur ton blog, alors effectivement tu aimeras te promener dans mon univers qui n’a guère changé !
            Je t’embrasse
            Catherine

          • Nous sommes liées par deux mêmes passions : la littérature et la décoration ! Ta maison a beaucoup de chance d’avoir une propriétaire qui en prend soin et la magnifie. Grâce à toi, cette « respectable vieille dame béarnaise » restera éternellement jeune. On sent que ta maison possède une âme, qu’elle est à ton image.

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