L’eau rouge (Jurica Pavičić)

Elle apparaît, forme floue et insaisissable, sur la couverture mais aussi sur la 4ème de couverture de L’Eau rouge. De dos ou dissimulée derrière la présentation du roman, Silva est un fantôme obsédant qui se dérobe sans cesse au regard, que l’on croit un moment saisir avant qu’il ne s’évanouisse dans la blancheur des pages.

A PROPOS DE L’HISTOIRE – En ouvrant L’Eau rouge, le lecteur pénètre dans un livre hanté, dans une galerie des glaces répétant à l’infini la silhouette d’une jeune Croate de 17 ans, disparue le 23 septembre 1989, à Misto, petite ville côtière de Dalmatie. Chaque chapitre, fait entendre la voix de l’un des protagonistes, Vesna (la mère), Jakov (le père), Matte (le frère jumeau) ou encore Gorki Šain (l’inspecteur en charge de l’enquête)… En réalité, chaque chapitre, ne fait que refléter un nouveau visage de Silva et de la Croatie.

C’est le soir. L’eau est d’un bleu foncé. Et d’un coup, de bleue elle devient rouge. Elle prend la couleur du sang et commence à grossir comme lors de l’inondation biblique de l’Egypte. […] Les eaux rouges grossissent jusqu’à tout engloutir résolument et inexorablement : Misto, la montagne, et ce pays qui ne mérite pas mieux que ce déluge.

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Obsédante , l’absence de l’héroïne fonctionne comme un trou noir qui dévore la vie de tous ceux qui sont liés, de près ou de loin, à sa disparition et vers lequel refluent les années Tito, l’effondrement du communisme, la guerre d’indépendance (1991-1995), l’émergence d’un capitalisme teinté de corruption ou encore l’essor du tourisme.

Grande et petite histoires se rencontrent dans L’Eau rouge. Pour comprendre ce titre énigmatique, il faut parcourir les tout derniers chapitres du roman alors que le polar se transforme insensiblement en tragédie grecque. Sophocle moderne, Jurica Pavičić, écrit la fatalité croate pour mieux conjurer les passions et les horreurs du passé. Entre mimésis et catharsis, L’Eau rouge est un livre obsédant que l’on ne parvient pas à lâcher. Et si cette eau rouge a le goût du sang et de l’amertume, elle est aussi celle qui lave et qui efface. Car si Silva représente le passé, Matte, son jumeau, personnifie l’avenir.

L’Eau rouge – Jurica Pavičić – Mon édition : Agullo (Première édition Française : 11 mars 2021) – Agullo – 358 pages

Grand prix de littérature policière 2021 – Prix Le Point du polar européen 2021

2 commentaires

  1. J’ai lu ce livre obsédant, dont la construction contribue à le rendre passionnant. Je ne m’étais pas formulé tous les éléments de ton argumentation mais j’y adhère sans réserve et j’apprécie beaucoup tes photos, tant pour ce qu’elles expriment que pour leur esthétisme.

    • Merci 🙂 ! L’eau rouge est un livre qui marque profondément et qui dépasse les limites du genre. Il est tout à la fois roman policier, témoignage sur les années Tito et post Tito, autopsie d’une disparition et tragédie grecque (ou plutôt croate). Bref, c’est un livre complet, efficace et sans concession. De la littérature contemporaine comme on aime !

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