Underground Railroad (Whitehead)
SUR DES RAILS IMAGINAIRES – D’une déception enfantine, Colson Whitehead a fait un livre ! Enfant, il était persuadé que l’Underground Railroad était une station de métro donnant accès à un véritable réseau souterrain. Une belle image qui n’a pas résisté aux explications de ses professeurs. Mais lorsque la réalité déraille et rattrape un écrivain, un peu d’encre et du papier lui permettent de la sublimer et de nous entraîner dans un roman singulier qui flirte tout à la fois avec le réalisme et le fantastique puisque, dans ses pages, Colson Whitehead transforme une métaphore en un chemin de fer souterrain… bien réel !
Un procédé gênant, dans la mesure où il génère de nombreuses invraisemblances, mais qui permet d’incarner efficacement un réseau de solidarité où -sécurité oblige- tout était oral. De la plupart des héros qui ont œuvré au sein de l’Underground Railroad, on ne sait rien. Reste juste des images : des maisons ou « gares », tenues par des « chefs de gare » qui permettaient, étape par étape, à des esclaves en fuite ou « passagers » de voyager vers la liberté. Des années 1 830 à 1 860, on estime que ces rails du courage ont sauvé entre 30 000 et 100 000 esclaves. Grâce à Colson Whitehead ces héros anonymes ont enfin un monument… littéraire !
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A PROPOS DE L’HISTOIRE – Underground Railroad est un roman tout en… noir et blanc. En cette première partie du XIXème siècle, la culture du coton bat son plein et fait la fortune des riches familles sudistes. Dans les plantations, les esclaves sont sacrifiés sur l’autel du « King cotton ». Dans cette mer blanche, le « bois d’ébène » sombre… Cora est orpheline. Sans personne pour la protéger, elle a été reléguée à Hob, hutte réservée aux esclaves mutilés ou dont la raison s’est envolée. A 16 ans, elle saisit sa chance et fuit la plantation Randall. Grâce au chemin de fer clandestin, elle entreprend un long voyage souterrain qui l’amènera à traverser 6 états américains mais aussi et surtout à explorer le noir continent du racisme. Car pour une ancienne esclave, la liberté n’est jamais acquise…
Lira ou lira pas ?
Ce livre est pour vous si :
- vous avez toujours été intrigué(e) par le « chemin de fer clandestin », réseau moins connu en France qu’aux Etats-Unis et qui est venu en aide à des milliers d’esclaves.
- vous êtes Black de cœur.
- vous êtes persuadé(e) que la littérature participe au devoir de mémoire et qu’elle peut donner, dans une certaine mesure, la parole à tous ceux qui ont péri dans les chaînes de l’esclavage. Parce qu’écrire, c’est survivre.
« Le monde est peut-être méchant, mais les gens n’ont pas à l’être, pas s’ils s’y refusent. »
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L’enfer de l’esclavage
Avec Underground Railroad, on découvre le Sud, côté huttes et champs de coton. Pas question de mettre les pieds dans la maison de maître que l’on imagine entourée de sa galerie blanche, de ses buissons d’azalées et de ses chênes voilés de mousse espagnole. La plantation Randall est un enfer qu’aucune description de la beauté du Sud ne vient atténuer. Au fond le voyage souterrain commence dès le début du roman, avant même que Cora ne pense à s’échapper. Colson Whitehead nous introduit côté coulisse, dans le quartier des esclaves où gibets et corps suppliciés remplacent les magnolias en fleurs. Cruel, sadique et d’une « méchanceté qui contami[e] tout », Terrence Randall est même désapprouvé par Ridgeway, chasseur de prime inquiétant, qui ne brille pourtant pas par la sensibilité et l’empathie…
Si Colson Whitehead dénonce l’attitude des planteurs Blancs, sa description des esclaves est tout aussi réaliste. Pour obtenir une faveur ou éviter un châtiment, chacun est prêt à dénoncer l’autre : « Car les Blancs ne sont pas les seuls à pouvoir vous dévorer. » Au fond, la faute des Blancs est double. Non seulement, ils ravissent la liberté des Noirs mais ils leur volent aussi un peu de leur âme en avilissant leur cœur et leur esprit. « Enfant perdue », « dernière de sa tribu », Cora a su conserver une véritable conscience. Une force intérieure qui la pousse à fuir vers le Nord pour se retrouver.
Racismes alternatifs
Et maintenant, suivez Cora et laissez-vous « aspirer » par Underground Railroad. Avant de monter à bord, Lumbly, le chef de gare, annonce (sans mauvais jeu de mot) la couleur : « Vous allez découvrir le vrai visage de ce pays ». Cora est déçue : tout est noir dans le tunnel, on ne voit rien. En réalité, Lumbly a dit la vérité : tout est sombre dans cette Amérique aveuglée par le racisme. Véritable colonne vertébrale du roman, le chemin de fer clandestin ordonne le récit. Chaque grande étape du livre est moins un chapitre qu’une escale dans un Etat américain qui propose à chaque fois un nouveau visage du racisme : Géorgie des plantations, eugénisme soupoudré d’intellectualisme de la Caroline du sud, extermination programmée de la Caroline du Nord…
Entre chacune de ces escales, Colson Whitehead intercale de brefs intermèdes qui sont autant de plongées dans la conscience d’un personnage qu’il soit esclave, chasseur de prime, petite bourgeoise américaine ou étudiant en médecine. Certaines de ces plongées sont glaçantes ou donnent envie de secouer les épaules devant tant de bêtise humaine… parce qu’au fond le racisme est avant tout un problème de conscience, d’humanité et d’intelligence.
ANECDOTE
Le nom d’Underground Railroad viendrait d’un fermier du Kentucky. En 1831, surpris par la disparition subite d’un esclave, il se serait écrié qu’il avait dû emprunter un « chemin de fer souterrain ». Une métaphore qui a été ensuite filée par les membres du réseau avant… de devenir un livre. On ne devrait jamais sous-estimer la force des mots 😊 !
Underground Railroad – Colson Whitehead – Dates d’édition : Etats-Unis 2016 – France 2017 Albin Michel
Mon édition : Poche (27 mars 2019) – 416 pages
Prix Pulitzer 2015