Les liaisons dangereuses selon Fragonard (A. de Marnhac)

Si certaines femmes naissent dans des corps d’hommes et des hommes dans des corps de femmes, il est des tableaux qui sont en réalité des romans ! Œuvre transgenre par excellence, Le Verrou de Fragonard se lit tout autant qu’il s’admire et se regarde. On en feuillette fiévreusement l’histoire, on en déchiffre les significations secrètes avant de le refermer/renfermer dans sa mémoire pour mieux en pénétrer les secrets.

Il fallait bien qu’un jour Fragonard, qui a représenté tant de lectrices songeuses et traduit en images les œuvres de Cervantes, l’Arioste ou La Fontaine, « écrive » un tableau, utilise le crayon et la peinture pour « rédiger » une œuvre-palimpseste, ouvrant grand les portes du XVIIIème siècle.

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Dis-moi avec qui tu dialogues… et je te dirai qui tu es

Car le vrai pendant du Verrou (1777/1778) est moins L’Adoration des Bergers (1775), peint trois ans auparavant par Fragonard pour le marquis de Véri (qui souhaitait, avec audace, faire dialoguer œuvres profane et religieuse) que Les Liaisons Dangereuses (1782) de Laclos.

Roman épistolaire et tableau restituent et résument admirablement l’esprit d’un siècle libertin rattrapé… par la tentation de l’amour. La Nouvelle Héloïse (1761) est passée par là… Une nouvelle sensibilité émerge. Désir et amour, qui ont longtemps joué à colin-maillard, soudain, se retrouvent, se désirent et s’étreignent.

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Les clairs obscurs du XVIIIème siècle

Un pas de deux admirablement restitué par Le Verrou qui chante l’extase amoureuse et le bouleversement du désir. Dans la célèbre diagonale reliant la pomme au verrou, on peut lire toute l’histoire d’un siècle finissant, partagé entre le cynisme de la Marquise de Merteuil et le romantisme sacrificiel de la Présidente de Tourvel.

Oeuvre testamentaire, Le Verrou a toute la légèreté, la liberté et la grâce des tableaux du XVIIIème siècle. Mais déjà l’aire bienheureuse des Fêtes Galantes s’achève… Les Lumières vont bientôt laisser la place aux ténèbres de la révolution… Et, dans Le Verrou, la frivolité des oeuvres coutumières de Fragonard est remplacée par une gravité inhabituelle…. Prémonition ?

Biographie picturale

Tableau de la profondeur, cette oeuvre unique raconte aussi en pointillés l’histoire d’un peintre sensible, heureux en famille et qui rêvait de s’affranchir du poids de l’Académie.

En poussant symboliquement ce verrou énigmatique, Fragonard se libère, tourne le dos aux desiderata de la cour, des commanditaires, des collectionneurs et des amateurs pour peindre et écrire un tableau qui lui ressemble et constitue peut-être sa biographie picturale la plus aboutie en même temps que le plus beau des testaments artistiques.

SERVICE PRESSE

Parce que les verrous ne sont pas toujours faciles à manier, Anne de Marnhac vous en révèle tous les secrets et vous permet, le temps d’un ouvrage, de « lire à tableau ouvert ». La collection Le roman d’un chef-d’œuvre n’aura jamais aussi bien porté son nom. Merci aux ateliers Henry Dougier pour ce voyage au cœur même de l’âme des tableaux ! Parce qu’en art l’essentiel est souvent invisible pour les yeux…

Les liaisons dangereuses selon Fragonard – Anne de Marnhac – ateliers henry dougier (Collection : Le roman d’un chef-d’oeuvre)

Date d’édition : 16 mars 2023 – 122 pages

AU COEUR DE LA TOILE

OUVRONS LE VERROU…

1 777
1 778

ZOOM sur

LA POMME

CLIN D’OEIL À ÈVE, ELLE RENVOIE AU PÉCHÉ ORIGINEL. L’ADORATION DES BERGERS REPRÉSENTAIT L’AMOUR DIVIN. LE VERROU CHANTE L’AMOUR CHARNEL. LES DEUX PENDANTS SE RÉPONDENT EN UN JEU DE MIROIRS INVERSÉS FASCINANT ET TROUBLANT.

LE BOUQUET

SYMBOLE DES PRÉLIMINAIRES AMOUREUX OU DE LA PERTE DE LA VIRGINITE, CE BOUQUET AMBIGU CONSERVE JALOUSEMENT SES SECRETS ! TOUT COMME LA ROSE SUR LE LIT OU LA CRUCHE RENVERSÉE (À GAUCHE DE LA POMME) QUI N’EST PAS ENCORE BRISÉE…

LE VERROU

ÉLÉMENT ESSENTIEL DU TABLEAU, IL EST RELIÉ À LA POMME PAR UNE DIAGONALE DU DÉSIR QUI DRAMATISE LE MOMENT ET DÉLIMITE LA SCÈNE. AU-DELÀ DE SA SIGNIFICATION ÉROTIQUE, CE VERROU ÉNIGMATIQUE DÉFIE TOUTE INTERPRÉTATION ARTISTIQUE.

De tableaux en gravures

Le Verrou est un casse-tête artistique ! Difficile à interpréter (s’agit-il d’une scène de semi-contrainte ? d’un jeu amoureux ?), il demeure d’autant plus énigmatique qu’il possède plusieurs pendants et réapparaît là où on ne l’attendait pas. Ce tableau fermé et cadenassé laisse la porte grande ouverte à l’interprétation. Promenade picturale en repères et en images (les pendants sont reproduits ci-dessous).

ACTE 1 – En 1775, Fragonard peint une Adoration des Bergers pour le marquis de Véri. Deux ans plus tard, cet amateur éclairé lui demande un pendant. Le Verrou est né ! D’un côté la faute et la tentation, de L’autre la rédemption et l’adoration ! Unis dans la dissemblance, les deux tableaux présentent le même clair obscur et semblent tous deux poser la même question : « Qu’est-ce qu’aimer ? ». A la mort du marquis, les deux toiles prendront des chemins différents et seront séparées. Reste que le marquis avait raison : amours charnelles et sacrées sont indissociables et faites pour marcher côte à côte. En 1988, L’Adoration des bergers est offerte au Louvre par M. et Mme Roberto Polo. Après 203 ans, les deux pendants sont enfin réunis. Les histoires d’amour picturales ne finissent pas toujours mal !

ACTE 2 – Très vite, le verrou s’est échappé du salon vert du marquis de Véri et, sous la forme d’une gravure de Maurice Blot, a été proposé au grand public. Un succès d’autant plus complet que, pour l’occasion, Fragonard a exécuté un nouveau pendant opposant amours citadines et rustiques. Dans L’armoire (1778), les amants étourdis ont oublié de pousser le verrou… Bien mal leur en a pris ! les curieux se sont assemblés devant la porte et l’amant sort de l’armoire sous le regard de parents furibonds et menaçants. A la gravité du Verrou, Fragonard oppose une scène plaisante, appartenant au pur registre de la comédie.

ACTE 3 – Il faut se méfier des verroux et des armoires ! Ils s’ouvrent et réapparaissent au moment où l’on s’y attend le moins ! En 1792, Maurice Blot propose une eau-forte du tableau de Fragonard Le Contrat représentant deux amants qui officialisent leur liaison. La scène serait parfaitement conventionnelle si, sur le mur, derrière le jeune couple, on ne remarquait des reproductions du Verrou et de L’Armoire ! Un clin d’œil amusant. peut-être parce que la révolution française est parvenue à tout décapiter, si ce n’est le désir et le plaisir 🙂 !

Un tableau en citations

Mouvement – P 10

« […] la puissance de deux corps qui s’étreignent, se désirent, se défendent, se reprennent… »

Pas de deux – P 114

« […] cette chorégraphie mystérieuse porteuse de toutes les contradictions du désir. »

LUMIERE – P 71

« Elle éclaire leur ravissement. »

LIVRES – P 60

« Fragonard aime les livres.
Il en est entouré »

ANECDOTES

Jean-Honoré FRAGONARD – 1732-1806

Amitié – Fragonard était un ami de Dorat dont le roman épistolaire Les Malheurs de l’inconstance (1772) servit sans doute de modèle à Laclos pour ses Liaisons dangereuses (1782).

Deuil – En 1788, Fragonard perd prématurément sa fille Rosalie. Elle avait 18 ans. En disparaissant, elle emporte toute sa joie de vivre. Fragonard ne touchera plus jamais un pinceau si ce n’est pour peindre quelques rares roses trémières…

Louvre – Entre le Louvre et Fragonard, c’est une histoire d’amour ! Il y résidera entre 1765 et 1806. Ses voisins se nomment Greuze, Vernet… Quand, en 1793, la Convention décide de transformer les lieux en musée, Fragonard en devient l’un des premiers responsables. Lui qui ne peint plus garde désormais des tableaux… Ultime hommage à Fragonard, Le Verrou, qui a été peint au Louvre, y retrouvera sa place en 1974.

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