En attendant Bojangles (Bourdeaut)

A L’ORIGINE ETAIT L’AMOUR – Shakespeare aurait adoré Olivier Bourdeaut ! Ils partagent le même goût du baroque, des images insolites, de la tension et de l’exubérance. Dans leurs œuvres, l’émotion et l’illusion permettent de mieux dire la vérité. Les metteurs en scène ne s’y sont pas trompés ! Après avoir été adapté au théâtre par Victoire Berger-Perrin, ce roman inclassable continue sa carrière, sur grand écran grâce à Régis Roinsard et Romain Compingt. Comme si les deux amants éternels et magnifiques de ce livre iconoclaste et éclectique, tels des Roméo et Juliette modernes, refusaient d’arrêter de danser et changeaient sans cesse de piste : valsant sur les pages, avant de s’élancer sur les planches de théâtre, puis de se retrouver, entre les caméras dans un décor de carton-pâte.

APPARTE : Avant En attendant Bojangles était M. Bojangles. Alors laissez-vous transporter par la voix rauque et inoubliable de Nina Simone en cliquant ici ! Lire en musique, c’est mieux !

.

.

A PROPOS DE L’HISTOIRE – Il est mythomane, un rien escroc sur les bords. Elle est un peu folle, à 100 % Don Quichotte. Ils étaient faits pour se rencontrer, divaguer de concert, s’admirer et s’aimer. De mensonges « à l’endroit à l’envers » en extravagances, de bals costumés en cocktails et fêtes folles, ils vont s’envoler sur la musique de Mr. Bojangles et essayer de tromper la réalité. Dans ce paradis d’opérette, créé de toutes pièces, leur petit garçon va apprendre à vivre à contre-courant et contre-temps. Mais derrière la poésie et la fantaisie, la folie se tient en embuscade… Peut-on remporter la partie contre la réalité ?

Lira ou lira pas ?

Ce livre est pour vous si :

  • vous aimez, la nuit, admirer les constellations, suivre les étoiles filantes et faire un vœu ! En attendant Bojangles est un ovni littéraire, une comète qui traverse votre vie sans crier gare et qui modifie le regard que vous portez sur la littérature contemporaine. Il y a un avant et un après Olivier Bourdeaut. Après l’avoir lu, on peut encore croire que Jacques Prévert et les surréalistes ont un héritier !
  • vous n’avez pas peur des livres-mythomanes. Sur la table de votre libraire, En attendant Bojangles se présente comme une aimable fantaisie de 171 pages, écrite en gros caractères. En réalité, il s’agit d’un long poème en prose, d’un livre que vous lisez en avant et en arrière, puis en en arrière et en avant, d’un ouvrage circulaire et qui possède son propre espace-temps. Bref, c’est un livre impossible à finir. Si vous entrez, n’espérez pas sortir.

Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver.

.

« O temps, suspends ton vol »

Car tout le roman est une fuite qui suit le sillon d’un vinyle : « Mr. Bojangles ». De chapitre en chapitre les mots, valsent, s’embrasent, scintillent, se télescopent et s’éparpillent pour mieux dire toute l’urgence de vivre. Georges et sa compagne aux 1001 prénoms « cette femme folle et chapeautée d’ailes » entraînent le lecteur dans un univers magique tout de fantaisie, de poésie, de vitesse et de « pieds-de-nez au réel » où ils se rencontrent, se marient, dansent et s’aiment à l’envi et à la folie. Car tout amour est essentiellement menacé. Et le temps a, lui aussi, 1001 visages ; qu’il prenne les traits de la haine existant entre les Montaigu et les Capulet ou celui de la folie qui fait peu à peu basculer une jeune femme fantasque et originale mais « bousculée et tabassée » par la vie. Même en dansant, on ne saurait prendre de vitesse le temps…

[…] le compte à rebours était peut-être lancé. Et c’est sur ce « peut-être » que tous les jours nous dansions et faisions la fête. 

.

La fantaisie au pouvoir

Et si En attendant Bonjangles est trop léger et drôle pour ne pas être infiniment triste et tragique, il n’en est pas moins un pur éclat de rire. Lorsque la partie est perdue d’avance, elle mérite quand même d’être jouée. Question de courage et d’élégance. Et les parents du narrateur vont la jouer magnifiquement en transformant leur vie en un véritable roman. Pour tromper la réalité et la tenir en lisière, la famille use de mensonges « à l’endroit et à l’envers », se travestit, se déguise et joue la comédie. Sur ces fondations imaginaires, ce trio attachant érige un royaume extravagant on l’on croise un sénateur jouisseur et débonnaire, un cavalier prussien, un château en Espagne, une cuisine lacustre ou encore une grue de Numidie portée sur la littérature. Mais pour perdurer, fantasme et réalité doivent suivre des trajectoires parallèles, sans jamais se rencontrer… Il suffira d’un visiteur pour tout gâcher. A moins que…

.

La muse, l’écrivain et le disciple

Toute étoile est immortelle. Alors qu’elle a depuis longtemps disparu, sa lumière nous parvient encore et nous éclaire… Pour qu’une histoire d’amour brille à jamais sur le firmament littéraire, il suffit de trouver des mots pour la dire et pour l’écrire. Parce que tout livre, comme tout vinyle, est un espace circulaire et donc par essence infini, Georges, romancier sans éditeur, et son fils vont rédiger l’histoire que l’héroïne n’a pas réussi à coucher sur le papier mais qu’elle a inventée.

Elle ne me traitait ni en adulte, ni en enfant mais plutôt comme un personnage de roman. Un roman qu’elle aimait beaucoup et tendrement et dans lequel elle se plongeait à tout instant. 

Et tout comme les personnages du roman écoutent à l’infini Mr. Bojangles, le lecteur, tenté, relit des passages d’En attendant Bojangles, avant d’aller le voir au théâtre, puis au cinéma… Car toute œuvre marquante se duplique à l’infini. Toujours à moitié comprise, jamais complètement expliquée, toujours réinterprétée. En Art, le temps n’existe pas.

.

Et à la FIN était… l’amour !

Reste que, à l’image de ses personnages, Olivier Bourdeaut est un menteur de talent et qu’un amour peut en cacher un autre ! Bien plus qu’une pirouette littéraire ou un effet de surprise, le dernier chapitre, est la révélation du véritable sujet du livre. Car En attendant Bojangles est avant tout une incroyable déclaration d’amour à la littérature, un poème en prose, vibrant d’assonances et d’allitérations, un inventaire à la Prévert dont les mots sont les héros, une collection éclectique d’expressions détournées, prises au pied de la lettre ou volontairement comprises de travers et sur laquelle vogue un « bateau ivre » tout droit échappé du  célèbre poème de Rimbaud. Cette prose bondissante, surprenante et enivrante dit tout le plaisir de vivre et d’écrire. Non ce n’est pas l’héroïne du roman qui « tuto[ie] les étoiles » mais bien Olivier Bourdeaut. Pourvu qu’il nous mente longtemps, vite et à nouveau !

.

ANECDOTE

Et si l’antichambre du paradis se trouvait en prison ? En 1968, Jerry Jeff Walker (un rien accompagné) se retrouve dans une cellule de la Nouvelle-Orléans. Quand il en ressort, il ne le sait peut-être pas encore, mais il est sur le point de composer une chanson qui va toucher au coeur des millions d’auditeurs.

Dans la cellule, un sans abri, à moitié clochard, à moitié artiste, raconte qu’il a perdu son chien. Un ange passe. Pour alléger l’atmosphère, les autres détenus lui demandent de danser et de faire des claquettes. Le mythe est né. De M. Bonjangles, on sait seulement qu’il s’était inventé un nom pour tromper la justice (et peut-être la vie aussi…), qu’il avait tout perdu mais qu’il avait encore le courage de danser.

Ecrite par un Jerry Jeff Walker inspiré, cette chanson « triste et gaie à la fois » va passer d’interprètes en interprètes : le groupe country Nitty Gritty Dirt Band, Nina Simone, Harry Bellafonte, Robbie Williams, Bob Dylan, Whitney Houston, Sammy Davis, etc. (la liste donne le tournis). Elle sera chantée, dansée, réinterprétée, pastichée, jouée à la guitare, au piano… un peu comme un voeu, un souhait, une prière. Parce que je crois que nous sommes tous M. Bojangles et que nous espérons tous, sans le savoir, au fond de nous-mêmes, qu’il a retrouvé son chien.

Envie de découvrir les paroles et leur traduction ? C’est ici !

En attendant Bojangles – Olivier Bourdeaut – Dates d’édition : FINITUDE (1ère édition : 7 janvier 2016) –Mon édition : Folio (4 avril 2019) – 176 pages

Prix France Télévisions 2016 – Grand Prix RTL/Lire 2016 – Prix du Roman des étudiants France Culture/Télérama 2016

4 commentaires

  1. Convaincue. Tu m’as convaincue. Je n’avais pas lu Bourdeaut « pas assez rationnel pour moi ». Ta critique, particulièrement réussie, avec tes nombreux liens, que j’ai quasiment tous utilisés, (merci) m’ont donné envie. J’attaque aujourd’hui la lecture de En attendant Bojangles, dans un autre état d’esprit.

    • Ce roman est un petit bijou ! Un futur classique ! Je suis vraiment heureuse de t’avoir donné envie de le découvrir. J’espère que tu auras, comme moi, un coup de coeur. Très bonne lecture 🙂

  2. Entièrement d’accord avec Marylène ! J’ai écouté Nina Simone en boucle! Son interprétation tendre et nostalgique est touchante.

    • La musique est inséparable du roman ! Elle est la clé qui permet d’entrer dans l’univers d’Olivier Bourdeaut. L’interprétation de Nina Simone avec l’arrangement au piano est incroyablement émouvante. Je l’ai, moi aussi, écoutée en boucle.

Répondre à NaniliAnnuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *