Le plus dangereux des jeux (Connell)

SI TU ES CHASSE, DEVIENS LE CHASSEUR – Le plus dangereux des jeux est une nouvelle qui happe le lecteur, qui l’enferme dans un piège lextuel de 71 pages, d’où il ressort haletant et des questions plein la tête. Si l’île de Zaroff est connue sous le nom de « Piège à bateaux », elle pourrait tout aussi bien être nommée « Piège à lecteurs ». Pour sortir vivant de cette chasse malsaine (ou de cette lecture dérangeante !), une seule solution : garder à l’instar de Rainsford « son sang-froid », maîtriser ses nerfs, solliciter ses neurones et tenter d’inverser les positions. Un conseil qui vaut dans toutes les situations de la vie et que l’on pourrait résumer par un : si tu es le chassé, deviens le chasseur. Bref, n’acceptez jamais que quelqu’un vous mette en danger, réfléchissez, luttez et reprenez le dessus.

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A PROPOS DE L’HISTOIRE – Rainsford et Withney sont dans un bateau. Rainsford tombe à l’eau et n’échappe à la noyade que pour se retrouver sur une île mystérieuse où le général Zaroff lui prodigue une hospitalité généreuse avant de lui proposer… une chasse à l’homme. Esprits impressionnables s’abstenir. « Le plus dangereux des jeux » est un conte noir, très noir…

Lira ou lira pas ?

Ce livre est pour vous si :

  • vous souhaitez découvrir un texte culte aux Etats-Unis et qui est, pour la toute première fois, édité en France dans sa version intégrale.
  • vous êtes un collectionneur de récits courts. Attention ! Le top 10 de vos nouvelles préférées va bientôt changer.
  • vous aimez les livres denses qui cheminent en vous et auxquels vous penserez longtemps sans jamais en percer complètement le secret.

Rainsford savait désormais ce que ressent un animal aux abois. 

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Un petit chef d’œuvre de littérature noire

Et de la maîtrise de soi, il en faut lorsque l’on séjourne sur l’Ile du général Zaroff. Jungle épaisse, « Marais de la mort » et château gothique composent un décor rien moins qu’accueillant. Les trophées de Zaroff (on vous laisse deviner de quoi, il s’agit…) ne sont pas faits pour rassurer ses « invités ». Bref, tout est étrange et dérangeant sur l’Ile « Piège à bateaux ». Elle semble appartenir à un autre espace-temps et représente LE lieu maléfique par excellence. Au fond, on peut se demander si Rainsford ne fait pas un cauchemar éveillé. Encore sur le bateau, il remarque que la nuit est si noire qu’il « pourrai[t] dormir sans fermer les yeux » et sa chute par-dessus bord peut elle-même être interprétée comme une brusque plongée dans le sommeil et le pays de l’horreur : « les eaux de la mer des Caraïbes, tièdes comme du sang, se refermèrent au-dessus de sa tête. » Vu la suite du programme, on espère vraiment pour lui qu’il s’est endormi !  

L’animalité n’est jamais très loin

Après avoir échappé à la noyade, Rainsford tombe de Charybde en Scylla, et rencontre le général Zaroff qui courtois et cultivé serait un hôte parfait s’il n’avait pas la dérangeante manie d’organiser des chasses à l’homme… Car pour Zaroff, l’humanité se divise en deux catégories les « faibles » et les « forts ». Une vision qui fait ironiquement écho à la théorie que Rainsford développe pour Whitney, au tout début de la nouvelle, et qui classe le monde en « chassés » et « chasseurs ». Et peu importe l’angoisse du malheureux jaguar ! Transformé, à son tour, en proie, Rainsford va connaître la peur. Pour avoir une chance de survivre, il devra libérer toute son animalité, son agressivité et sa propension naturelle à tuer.

L’homme : le prédateur absolu

Richard Connell aurait-il rédigé cette nouvelle s’il n’avait pas fait la guerre 14-18 ? En parcourant ce court récit, on ne peut s’empêcher d’y voir une dénonciation des conflits armés où des hommes considèrent d’autres hommes comme de simples proies à abattre. Au fond, Zaroff s’inscrit dans cette tradition où « force » est synonyme de « droit ». Connell ne fait que pousser cette affirmation jusqu’à l’absurde. Et Lorsque Zaroff prodigue son hospitalité à Rainsford avant de « l’inviter à la chasse », on songe à ces soldats Français et Allemands qui, en 14 -18, ont fait une trêve le temps de Noël et partagé un repas avant… de continuer s’entretuer. Au fond, la « chasse » est constitutive de la condition humaine. Le plus dangereux des jeux, c’est la vie et la plus dangereuses de proies (puisque le titre anglais est porteur d’un double sens), c’est l’homme.

ANECDOTE

Figure du mal par excellence, aussi fascinante que repoussante, le général Zaroff a été interprété, en 1943, par Orson Wells dans une création radiophonique du Mercury Theatre. Reste que pour tous les cinéphiles du monde, l’adaptation, en 1932, de la nouvelle de Connell par la RKO demeure inégalée. Et une île en cachant souvent une autre, Le plus dangereux des jeux a été tourné en même temps que King Kong. A Zaroff, le tournage de nuit et à King Kong celui de jour ! Dommage pour le général, il aurait sans doute adoré partir à la chasse au gorille géant ! Et tant mieux pour King Kong. Quand les hommes ne sont plus qu’animalité, heureusement que les animaux sont là pour leur rappeler ce qu’est l’humanité !

Le plus dangereux des jeux – Richard Connell – Dates d’édition : Etats-Unis 19 janvier 1924 dans Collier’s Weekly/France 3 avril 1927 dans Le Dimanche illustré

Mon édition : Les Editions du Sonneur (18 mars 2020) – 71 pages

2 commentaires

  1. Bravo pour tes photos ! Bravo pour ton analyse ! Elles expriment exactement ce que j’ai ressenti en lisant (d’une traite) cette nouvelle. Ton interrogation sur le lien auteur/combattant m’a interpellée.
    Continue avec tes anecdotes, je les trouve tout simplement passionnantes.

    • Merci 🙂 ! La nouvelle est passionnante et laisse place à de multiples analyses. C’est un texte que l’on n’oublie pas et auquel on repense souvent.

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