Première personne du singulier (Murakami)

Personne ne respecte jamais le décalage « littéraire » ! Une mauvaise habitude qui se traduit par des « Tu n’es pas là. » « Je t’ai appelée mais tu ne m’as pas répondu » ou « Tu étais plongée dans ton livre et tu n’as rien entendu. ». Mais est-ce que moi j’appellerais mon Chéri à 9 h du mat. alors qu’il dort tranquillement dans son lit à New York ? Que nenni !

La lectrice ou le lecteur est par essence un être « absent », un pilote littéraire, plus souvent dans le ciel que sur terre et que l’on croise uniquement entre deux escales romanesques. Et lorsque la destination choisie est une œuvre d’Haruki Murakami, les transmissions avec le monde réel ne passent plus. La lectrice ou le lecteur a tout simplement disparu.

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Traverser des perturbations

De brusques décrochages spatio-temporaux en décrochages expérimentaux, le vol murakamien est loin d’être de tout repos. Certains lecteurs n’en sont même jamais revenus ! On les a définitivement perdus. Car lire Murakami, c’est sentir brusquement les mots se dérober, les pages s’ouvrir sur des dimensions insoupçonnées et des mondes à l’envers jamais recensés.

Un vertige accru dans Première personne du singulier par l’entrée de l’auteur dans son univers littéraire. A force d’écrire 6 heures par jour et de sonder les limites du connu, on finit forcément par passer de l’autre côté ! Si Balzac a raté de peu Horace Bianchon (le plus célèbre des médecins de la Comédie Humaine), Murakami rencontre dans son dernier recueil le célèbre singe de Shinagawa déjà croisé dans Saules aveugles, femme endormie.

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Les 8 vies de Murakami

Vertige et nouveau décrochage. Si le réel et l’irréel se télescopent sans cesse et sont la marque de fabrique du célèbre auteur nippon, désormais fiction et autobiographie entrent en collision. Attachez vos ceintures, tout vibre, on est en plein buffeting, on va descendre tout en douceur dans le puits murakamien pour reprendre vitesse, portance et assurance. A moins que…

8 nouvelles suffisent à nous perdre. Dans ces « confessions passagères » et un rien imaginaires, Murakami se raconte en fragments et en rêves. Ses « moi » multiples, tout droit venus des limbes du temps mais aussi de l’esprit, de l’angoisse et des possibles, dessinent un portrait singulier, moins précis que celui de Rousseau ou de Chateaubriand, mais aussi plus honnête et véridique. Car toute existence est « [Ce] cercle qui possède un grand nombre de centres » évoqué dans la seconde nouvelle.

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L’auteur en ses oeuvres

Dans cette géographie de l’esprit, des vies se croisent -amantes d’un soir, petite amie perdue, inconnue accusatrice- des airs de jazz retentissent, des disques inventés apparaissent et disparaissent, une carrière littéraire suit la trajectoire d’une balle de base-ball, un singe partage des bières avec son créateur et, des limbes du temps et de la mémoire, un immense auteur voit le jour.

Car sous ses airs décousus, Première personne du singulier raconte avant tout la genèse et l’imaginaire d’Haruki Murakami, son amour des mots, sa croyance en leur pouvoir. Comme le singe de Shinagawa, Murakami vole les mots qu’il aime pour les rendre immortels. Ne vous y laissez pas prendre : dans ce recueil où tout semble faux tout est en réalité vrai ! Et tous les puits murakamiens mènent vers la lumière et des cieux dégagés. Le voyage ne fait que commencer.

Première personne du singulier – Haruki Murakami – Première édition japonaise : 2020 – Première édition française : Belfond (2022) – Mon édition : 10/18 (5 janvier 2023) – 192 pages – Traduction : Hélène Morita

CITATION

La confession du SINGE DE SHINAGAWA

« Je crois que l’amour est le carburant indispensable pour que nous puissions continuer à vivre. Il est possible qu’un jour un amour prenne fin. Ou bien qu’il n’aboutisse pas, mais même si l’amour s’évanouit, s’il n’est pas partagé, vous pourrez garder le souvenir d’avoir aimé, d’être tombé amoureux de quelqu’un. Et ce souvenir est une source précieuse de chaleur. Sans cette fontaine ardente, le coeur des humains -et aussi celui des singes- se transformerait en un désert stérile et glacé. Un lieu où il n’y aurait pas le moindre rayon de soleil, dans lequel ni les fleurs vives de la paix ni les arbres n’auraient l’espoir de pousser. Ici, dans mon coeur, je chéris le nom de ces sept belles femmes que j’ai aimées. […] Ces souvenirs, je les utiliserai comme mon modeste carburant qui brûlera durant les nuits froides et me réchauffera tandis que je vivrai ce qu’il me reste d’existence personnelle. »

ANECDOTE

DE LA PAGE BLANCHE A l’ECRAN

Les personnages de Murakami ont la bougeotte ! Après le singe de Shinagawa qui a abandonné son recueil d’origine pour réapparaître dans Première personne du singulier, quatre héros murakamiens se sont laissés tenter par une carrière cinématographique et ont accepté d’interpréter leur propre rôle sous la direction de Pierre Földes. Rendez-vous le 23 mars 2023, pour visionner cet ovni cino-littéraire !

Durée
1 h 49
Titre
Saules aveugles, femme endormie
Réalisateur
Pierre Földes
ZOOM SUR PIERRE FOLDES

Né aux Etats-Unis de parents hongrois/britannique et élevé en France, Pierre Földes est un homme de partout et nulle part ! Un curiculum vitae géographique et culturel idéal pour adapter au cinéma les mondes mystérieux, étranges et surnaturels d’Haruki Murakami.

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« Nous sommes entrés en contact et Haruki Murakami m’a proposé d’adapter une ou plusieurs de ses nouvelles, celles de mon choix. J’en ai choisi six, celles qui m’inspiraient le plus, mais sans vraiment savoir ce que j’allais en faire. Au contraire, plus c’était mystérieux et moins je savais ce que je pourrais en faire, plus cela m’intéressait parce que je sentais que cela touchait quelque chose de plus profond, sans savoir quoi. »

Citation extraite d’une interview de Pierre Földes par Fabien Lemercier – Cineuropa – 15/12/2022

LE SYNOPIS

Après le tsunami de 2011, une grenouille de 2 mètres fait irruption dans la vie d’un employé de bureau sur la sellette et lui demande de l’aider à sauver le Japon d’un nouveau tremblement de terre. Un chat disparaît et une jeune femme quitte son compagnon. Les amoureux de Murakami vont se sentir comme chez eux, les autres risquent d’être un peu dépaysés !

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With the Beatles
With the Beatles
« La mort d’un rêve est peut-être plus triste, en un sens, que celle d’un vivant. »
Recueil de poèmes      des Yakult Swallows
Recueil de poèmes des Yakult Swallows
« Mais que le match se termine par une victoire ou une défaite, cela ne change rien à la valeur et au poids du temps. Il demeure le même. Une minute reste une minute, une heure reste une heure. Il faut en goûter le moindre instant. Le plus important, c’est de se concilier le temps et d’en conserver le plus beau des souvenirs. »
Première personne       du singulier
Première personne du singulier
« Et maintenant, je suis ici. Ici, en un sens, je suis quelqu’un qui existe à la « première personne du singulier ». Si je m’étais décidé pour une autre direction, je n’aurais probablement pas été là. Mais qui est donc dans ce miroir ? »

Retrouvez toute l’actualité de Murakami sur son compte officiel Instagram « France »

2 commentaires

  1. A la lecture de nouvelles de Murakami, j’ai ressenti la perturbante impression d’une écriture « addictive » à laquelle, pourtant, je ne comprenais pas grand chose. J’ai adoré lire ta chronique qui va éclairer ma lecture de Première personne du singulier, que je vais entreprendre sans tarder. Tes photos sont tout simplement géniales et bravo d’avoir, contrairement à Murakami, réussi à te procurer le 33 tours Charlie Parker plays bossa-nova. 😉

    • Chut ! Il ne faut surtout pas révéler à Haruki Murakami que j’ai acheté avant lui son fameux 33 tours « Charlie Parker plays bossa nova » 🙂🙃. C’était une vraie gageure puisque ce disque n’existe pas ! Heureusement que j’ai plus d’un tour graphique dans mon sac !
      Comme toi, je trouve l’écriture de Murakami incroyablement addictive ! Son style est simple et épuré, on s’aventure facilement dans ses romans et ses nouvelles. Mais cet océan étale de mots est trompeur et dissimule des abymes sans fond. Les histoires de Murakami sont vertigineuses, elles s’adressent à l’inconscient.

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