Le Danseur oriental (M. Arditi)

Longtemps j’ai cru que Babel reposait sous les sables, en Irak, ensevelie parmi les ruines de Babylone… Elle n’était qu’un rêve effacé, l’image floue d’une tour défunte, mère des langues et tombeau de toute unité.

Mais les mythes sont changeants et trompeurs, ils renaissent sans cesse et se réincarnent. Les ouvriers dispersés se sont donné rendez-vous aux confins de l’Europe, de l’Asie et de l’Arabie pour incarner un fantasme, ériger une ville changeante et insaisissable. Je dis « Byzance » et l’écho me répond « Constantinople » mais déjà, le nom magique ricoche et me revient transformé : « Istanbul » est née.

Toute l’intrigue du « Danseur oriental » tient entre deux changements de noms. Prisonniers de l’écheveau complexe de la grande histoire, les personnages du roman naissent à Constantinople et se réveillent à Istanbul.

Entre temps, l’Empire Ottoman s’est effondré. Vahdettin, le dernier sultan, a laissé place à Mustafa Kemal Atatürk et à une république résolument engagée dans la voie de la modernisation. Mais au sein du Grand Bazar, dans la rue et les mosquées délaissées, la colère gronde… pendant que Gülgül danse entre deux époques, entre deux mondes.

Il est la flamme (Alev) qui traverse le roman, l’enfant « merveilleux » élevé au sein du palais de Domabahçe, choyé et prostitué, seçmé (choisi) et prisonnier. Parce que du sang arménien et juif coule dans ses veines mais qu’il est de confession musulmane, parce qu’il devient un immense champion de lutte et qu’il aime viscéralement les sonorités gutturales et chantantes de la langue turque, il est plus Turc que quiconque.

Mais les idoles sont faites pour être brûlées… Les minorités refusent de s’intégrer tandis que les Turcs humiliés cherchent des boucs émissaires. Un simple coming out identitaire va bouleverser la vie de Gülgül. En révélant qu’il est le fils d’un dômné (Juif converti à l’Islam), il fait de ses admirateurs de toujours, ses ennemis de demain.

Kemal veut l’unité mais la rue n’est pas encore prête. Figure christique, Gülgül est celui qui rassemble et qui doit donc être sacrifié. Dans ses Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar prévenait : « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. »

Eternelle histoire de Babel… où la richesse culturelle se mue en motifs de discorde… où les langues : le turc, le ladino, le grec, l’arménien… séparent au lieu d’unir, où la laïcité mal comprise devient un motif de mécontentement religieux.

Serons-nous un jour capables d’articuler multi-culturalisme et nationalisme pour faire « civilisation » ? Depuis longtemps Babel n’est plus en Irak, ni en Turquie ; Babel n’est plus un mythe, ni un rêve oublié, Babel est… notre réalité.

Le Danseur oriental – Metin Arditi – Première édition : Grasset (5 mars 2025) – 400 pages

Metin Arditi est un fabuleux conteur… Ses récits tout en volutes bercent le lecteur et, insensiblement, lui chuchotent des paroles d’humanité et de sagesse. On ne se méfie jamais assez des contes. Ils sont la « Sublime Porte » qui mène vers la philosophie :

DICTIONNAIRE AMOUREUX D’ISTANBUL
Un ouvrage à lire à l’endroit et à l’envers ! On flâne délicieusement entre ses pages comme à travers les ruelles d’Istanbul. On s’y perd pour mieux s’y retrouver, y communier avec la ville et y reconnaître la silhouette de M. Arditi qui… flâne elle aussi. Un incontournable !

Dictionnaire Amoureux d’Instanbul – Metin Arditi – Première édition : Plon, Illustrated édition (20 janvier 2022) – 530 pages

LOIN DES BRAS
Ce grand roman de la solitude -pas assez lu- vous réserve de jolies surprises. Car parfois Metin Arditi fait son Balzac et revient saluer ses personnages… Dans Loin des bras vous retrouverez un Gülgül vieilli (on fait un saut temporel de 24 ans – de 1935 à 1959) et qui travaille, près de Lausanne, à l’Institut Alderson !

Confidence d’auteur : Gülgül apparaît également dans Juliette dans son bain, Tu seras mon père ou encore Prince d’orchestre.

Loin des bras -Metin Arditi – Première édition : Actes Sud (17 août 2009) – Mon édition : Babel (12 août 2011) – 432 pages


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Surname-i Hümayun 

Livre de la fête de la circoncision impériale

Lieu de conservation : musée du palais de Topkapi.

Création : 1 583 à 1 588

Nombre de miniatures : 250

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