Le Danseur oriental (M. Arditi)
Premier tome de la trilogie de Constantinople.
Longtemps j’ai cru que Babel reposait sous les sables, en Irak, ensevelie parmi les ruines de Babylone… Elle n’était qu’un rêve effacé, l’image floue d’une tour défunte, mère des langues et tombeau de toute unité.
Mais les mythes sont changeants et trompeurs, ils renaissent sans cesse et se réincarnent. Les ouvriers dispersés se sont donné rendez-vous aux confins de l’Europe, de l’Asie et de l’Arabie pour incarner un fantasme, ériger une ville changeante et insaisissable. Je dis « Byzance » et l’écho me répond « Constantinople » mais déjà, le nom magique ricoche et me revient transformé : « Istanbul » est née.
« Mais [Constantinople] portait beau, et sans doute était-ce ce mélange de fierté et d’humiliation qui la rendait si attachante. […] Partout, ses beautés et des blessures racontaient le panache d’un empire qui se défaisait au quotidien. »

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D’un nom l’autre…
Toute l’intrigue du « Danseur oriental » tient entre deux changements de noms. Prisonniers de l’écheveau complexe de la grande histoire, les personnages du roman naissent à Constantinople et se réveillent à Istanbul.
Entre temps, l’Empire Ottoman s’est effondré. Vahdettin, le dernier sultan, a laissé place à Mustafa Kemal Atatürk et à une république résolument engagée dans la voie de la modernisation. Mais au sein du Grand Bazar, dans la rue et les mosquées délaissées, la colère gronde… pendant que Gülgül danse entre deux époques, entre deux mondes.

Nul ne saurait échapper à l’Orient… De la Turquie, de ce pays de lait et de miel où il est né le 2 février 1945, Metin Arditi nous rapporte un récit marqué au coin de l’enfance et de ses blessures. Peut-être parce qu’Istanbul est une ville qui ne se donne que pour mieux se reprendre… A 7 ans, le petit Metin a été placé dans une pension suisse où il restera 11 ans. Un exil géographique et sentimental qui guette la plupart des personnages du Danseur oriental. Comme si le drame de la séparation se rejouait à l’infini….
« Elle regarda s’éloigner Galata, sa tour, Beṣiktaṣ, Dolmabahçe et, au loin, l’échappée vers la mer Noire. La plus belle ville du monde. »
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Clarté contre obscurantisme
Il est la flamme (Alev) qui traverse le roman, l’enfant « merveilleux » élevé au sein du palais de Domabahçe, choyé et prostitué, seçmé (choisi) et prisonnier. Parce que du sang arménien et juif coule dans ses veines mais qu’il est de confession musulmane, parce qu’il devient un immense champion de lutte et qu’il aime viscéralement les sonorités gutturales et chantantes de la langue turque, il est plus Turc que quiconque.
Mais les idoles sont faites pour être brûlées… Les minorités refusent de s’intégrer tandis que les Turcs humiliés cherchent des boucs émissaires. Un simple coming out identitaire va bouleverser la vie de Gülgül. En révélant qu’il est le fils d’un dômné (Juif converti à l’Islam), il fait de ses admirateurs de toujours, ses ennemis de demain.
Kemal veut l’unité mais la rue n’est pas encore prête. Figure christique, Gülgül est celui qui rassemble et qui doit donc être sacrifié. Dans ses Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar prévenait : « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. »

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Istanbul, c’est nous
Eternelle histoire de Babel… où la richesse culturelle se mue en motifs de discorde… où les langues : le turc, le ladino, le grec, l’arménien… séparent au lieu d’unir, où la laïcité mal comprise devient un motif de mécontentement religieux.
Serons-nous un jour capables d’articuler multi-culturalisme et nationalisme pour faire « civilisation » ? Depuis longtemps Babel n’est plus en Irak, ni en Turquie ; Babel n’est plus un mythe, ni un rêve oublié, Babel est… notre réalité.
SERVICE PRESSE
Je n’ai jamais visité Istanbul… Enfant, cette ville aux trois noms me fascinait. Après avoir lu Le Danseur oriental, ses mosquées et son Bosphore, son Grand Bazar et ses odeurs mais aussi Topkapi -où dort le manuscrit du Surnâmé- me hantent.. Merci à Metin Arditi, à l’agence Alina Gurdiel & Associés ainsi qu’aux éditions Grasset pour cette parenthèse orientale que j’espère bientôt rouvrir !
Le Danseur oriental – Metin Arditi – Première édition : Grasset (5 mars 2025) – 400 pages

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EN CITATIONS & EN IMAGES
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Metin Arditi est un fabuleux conteur… Ses récits tout en volutes bercent le lecteur et, insensiblement, lui chuchotent des paroles d’humanité et de sagesse. On ne se méfie jamais assez des contes. Ils sont la « Sublime Porte » qui mène vers la philosophie :
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QUE LIRE APRES LE DANSEUR ORIENTAL ?
Refermer un livre, c’est toujours se sentir un peu orphelin… Quand il s’agit du premier tome d’une trilogie, ce sentiment s’accentue. Que vont devenir Bella et Gülgül ? Quels secrets Istanbul a encore à nous révéler ? Un an c’est long ou… très court ! Avec Metin Arditi, on gagne tout à être curieux et à naviguer à vue et « à l’estime » dans sa bibliographie. Et si vous faisiez un tour du côté du/de :

DICTIONNAIRE AMOUREUX D’ISTANBUL
Un ouvrage à lire à l’endroit et à l’envers ! On flâne délicieusement entre ses pages comme à travers les ruelles d’Istanbul. On s’y perd pour mieux s’y retrouver, y communier avec la ville et y reconnaître la silhouette de M. Arditi qui… flâne elle aussi. Un incontournable !
Dictionnaire Amoureux d’Instanbul – Metin Arditi – Première édition : Plon, Illustrated édition (20 janvier 2022) – 530 pages
LOIN DES BRAS
Ce grand roman de la solitude -pas assez lu- vous réserve de jolies surprises. Car parfois Metin Arditi fait son Balzac et revient saluer ses personnages… Dans Loin des bras vous retrouverez un Gülgül vieilli (on fait un saut temporel de 24 ans – de 1935 à 1959) et qui travaille, près de Lausanne, à l’Institut Alderson !
Confidence d’auteur : Gülgül apparaît également dans Juliette dans son bain, Tu seras mon père ou encore Prince d’orchestre.
Loin des bras -Metin Arditi – Première édition : Actes Sud (17 août 2009) – Mon édition : Babel (12 août 2011) – 432 pages
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Livrez-moi ! Surnâme, Coran et Turquie
Dans la bibliothèque du Danseur oriental, je demande le Surnâmé d’Intizami. Ce joyau de l’art ottoman est un personnage à part entière du roman. Alors que son royaume est menacé par les alliés et mis à l’encan, Vahdettin, sultan plus esthète que belliqueux, tente désespérément de retrouver les 15 miniatures manquantes de l’ouvrage : « [Une] façon de restaurer l’Empire dans sa gloire passée… ». Cette obsession sera à l’origine de vengeances, de complots et d’escroqueries. Car la Turquie, pays de lait et de miel, déchaîne toutes les convoitises… La métaphore du commerce -souvent négative- traverse tout le roman. Pour Constantinople et l’Empire tout l’enjeu est d’échapper à la curée, de ne pas être un simple butin que l’on se partage mais de se réinventer et de s’affirmer comme un grand pays. Une mission à la mesure de Mustafa Kemal Atatürk. Le Sûrnamé et le Coran de Musa Bey finiront sur son bureau. Tout un symbole…

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Surname-i Hümayun
Livre de la fête de la circoncision impériale
Lieu de conservation : musée du palais de Topkapi.
Création : 1 583 à 1 588
Nombre de miniatures : 250
